Ce qu’ils disent
J’ai 83 ans, enfin c’est ce qu’ils disent.
Ma mémoire est une passette.
Ce doit être vrai, en témoignent un chignon aux fils d’argent, mes mains tavelées, ma voussure qui me ploie telle une branche de saule pleureur.
Le couloir desservant les différentes pièces de mon logement me semble être une passerelle himalayenne.
Pour aller de ma chambre au salon, je n’ai que trente pas à faire.
Un exploit quotidien à rééditer. Alors que Gribleu, mon chaton qui tire son nom de la couleur du homard, le parcourt en toute vivacité, à la poursuite d’un bouchon en liège relié à une ficelle de cuisine.
Mes heures s’égrènent mollement, paresseusement.
Une dame vient me voir parfois pour rééduquer ma parole capricieuse, me faire sortir de cet état passif, végétatif, retrouver des souvenirs à imprimer.
Elle vient de partir. Je dois me rappeler, pour la prochaine fois, les mots réappris aujourd’hui : chocolat, pergola, ombrelle, manivelle, agriculture, peinture.
Ma vue se trouble, mon corps s’alourdit, mon fauteuil me berce.
J’ai 83 ans, enfin c’est qu’ils disent.
Béatrice SENTIS